Stage N° 9 1968 Article paru dans le magazine "les hommes volants"

photo Lieutenant POIREY

Une seconde huit pour quitter l'avion, c'est trop ! Je veux que vous sortiez en moins d'une seconde cinq ! et dès la sortie face au moteur, un 180° et vous foncez sur le leader !

Toi tu m'as encore battu une mayonnaise. J'ai dit 180°, pas un tour complet ! Si tu recommences, je te vire du stage ! J'en ai marre de vous le répéter à tous : A la sortie vous faites un demi tour et les bras en flèche, vous foncez sur votre chef de groupe. Lui vous attend. Il réduit un peu la position pour chuter plus vite et ne pas remonter par rapport à ses équipiers, à eux de le rejoindre et de se tenir près de lui, groupés ! Il faut qu'en chute et à l'atterrissage vous soyez groupés dans un mouchoir de poche. Vous étagez vos ouvertures de 600 à 800 m pour ne pas vous gêner. Compris ? 

Le béret enfoncé jusqu'aux sourcils, vieille tradition, l'oeil, la voix, le maxillaire agressifs le Lieutenant POIREY ne mâche pas ses mots ni ses critiques, ça tombe dru et ça porte ! Peu de compliments, pas de menace à la légère. On comprend sans faire le tour, ou on s'en va faire le guignol ailleurs. Mais quelle efficacité ! Quelle équipe !

A l'Ecole des Troupes Aéroportées de PAU le stage 6624 n'a pas besoin d'un cerveau électronique pour résoudre ses équations ou toucher ses buts. Avance, ou  ta place n'est pas ici. Le chiffre désigne les "Chuteurs Opérationnels", spécialistes parachutistes d'un nouveau genre. Une expérience qui a fait ses preuves et devient un instrument non négligé des stratèges. Son origine tient à une évidence. Les moyens modernes dont dispose un pays pour sa défense lui permettent de détecter et parer toute attaque aérienne par le réseau des radars qui balaient son territoire, des missiles sol-air qui se portent au-devant de l'agresseur. Jusqu'à 500 et même 1000m d'altitude, ce réseau de défense est si dense que le passage d'un avion transportant des troupes est un vol suicide. Il faut donc intervenir à partir de plus haut et traverser plus vite la défense adverse, sans que les hommes soient détectés. De là l'idée de larguer des parachutistes à haute altitude qui, après une chute libre jusqu'à leur point d'altitude d'ouverture traverse l'atmosphère sans être localisés puis se posent et disparaissent dans la nature pour réaliser leur mission. Si le passage de l'avion à 4000m ou à 8000m est repérable aux radars, le saut ne l'est guère et l'avion est loin quand les parachutes s'ouvrent. L'opération est encore plus difficilement détectable la nuit, au crépuscule ou à l'aurore, à l'heure où l'on ne différencie pas le chien du loup. Une minute parachute ouvert, ou moins encore, les "chuteurs" sont regroupés, s'adaptent au relief et opèrent : sabotage, diversion, préparation d'un largage d'envergure sans le secours d'un maquis local. Le progrès est d'avoir fait du spécialiste aéroporté vulnérable par son avion porteur un expert du saut en parachute lâché très haut, "paralite" comme on dirait satellite. 

Encore que de la théorie à la pratique il y ait loin. L'Ecole des Troupes Aéroportées n'est pas devenue un centre de formation collective de "chuteurs" Il n'existe en France que quelques cent "chuteurs opérationnels". Au 8ème stage qui comptait 31 volontaires sélectionnés, 13 ont passé le cap de l'initiation et 12 hommes seulement sont parvenus à la qualification. Stage difficle de 7 semaines dont 3 d'initiation accélérée à la trechnique de chute libre et 4 de formation opérationnelle : sauts d'altitude avec charge et armes, de jour et de nuit, en groupe.

Car il ne s'agit pas d'une oeuvre philantropique destinée à faire de chaque parachutiste un chuteur coûte que coûte. La progression normale des apprentis à la chute libre est déjà très étalée par les différences de caractère, les réactions de chacun. Passer de zéro à six sauts avec ouverture automatique et, dans la foulée aborder le saut avec ouverture commandée pour se retrouver à 4200m en 3 semaines, puis sauter avec des charges de 15 à 40kg, le fusil en travers de la poitrine dépassant le harnais. Le faire de nuit, sur terrain accidenté et même dans l'eau, c'est une gageure pour un stage de formation et de qualification dont aucun des élus n'aura en fin de stage plus de 70 à 100 sauts. Cela explique une élimination draconienne et justifie une qualification que j'appelle volontier de "parachutiste tous temps".

LES PARAS « en altitude » dans le cirque d’Aneü 

Les vacanciers qui avaient choisi pour itinéraire, hier, le col du Pourtalet ont eu droit à un spectacle exceptionnel : pour la première fois en France, il était procédé à un largage de parachutistes opérationnels, chargés chacun de 30 kilos de matériel. Il s’agissait, pour les stagiaires de l’ETAP, placés sous les ordres du Lieutenant POIREY, de se poser dans le cirque d’Aneü au terme d’un saut de 3400 mètres au-dessus du niveau de la mer. La DZ installée au col du Pourtalet se trouvait, elle, perdue entre pics, pitons et  barres rocheuses, à 1800 mètres d’altitude. Tout se passa parfaitement. On distingue, arrimé aux sauteurs par une sorte de cordon ombilical, l’armement opérationnel que chaque parachutiste décroche à une centaine de mètres avant le contact avec le sol.

 (Photo « Sud-Ouest » Op. Louis BACHOUÉ)

Le stage est encadré, sous la responsabilité du lieutenant POIREY, par des moniteurs de qualité, compétiteurs à leurs heures de loisir : les adjudants chef HUMBERT et BRUGEL, les sergents chef LEBERON et BLEVIN, une fine équipe qui connait son affaire et ne plaisante pas avec la technique, l'oeil exercé à relever et corriger les fautes de chacun. A chaque saut il y a un moniteur observant à chaque porte du Nord 2501 et un autre qui suit le groupe en chute libre "dans la foulée", personne n'échappe à la critique. Formation difficile certes, mais payante, on reste dans le coup ou pas.

A la fin du stage le chuteur aura réalisé une dizaine de sauts de nuit à 4200m avec charge. Il ne comptera plus les sauts sur l'eau, ceux au crépuscule, dans la nature, en montagne où il faut rester en groupe malgré la pente et les accidents de terrain. Il sera devenu un moustachu.

C’est une expérience courageuse et utile que cinq instructeurs de l’école de parachutisme de PAU ont effectuée, hier, sur le lac de Lourdes. Il s’agissait, en effet, de prévenir les accidents en cas… d’amerrissage. Largués à 4000 mètres - avec leur musette de 15 kilos – les paras, après une chute libre de 3600 mètres, n’ont eu d’autre désagrément que de se retrouver dans un bain à 10 degrés !

Le 13ème RDP et le 2ème REP ont fourni les premiers chuteurs opérationnels. Aujourd'hui le recrutement se fait dans toutes les unités parachutistes. Et c'est encore l'une des particularités de ce stage de regrouper des hommes d'origines diverses, du 2ème clase au gradé de carrière, qu'ils aient 3 mois ou 15 ans d'armée. Il est étonnant de voir ces hommes ramenés au même niveau sous le commandement d'un lieutenant qui ne ménage personne. Et il est vrai que j'y ai vu deux soldats appelés pour leur service militaire il y a trois mois seulement, et qui n'avaient encore jamais vu un parachute, se retrouvant avec un carnet de sauts impressionnant. D'autres titulaires du brevet de 2ème degré civil, déjà formés à la chute libre, avaient aussi été volontaires pour ce stage.

"Nous voulons recruter des jeunes gens effectuant leur service armé et qui connaissent déjà le parachutisme, la technique de chute libre surtout - me déclarait le Colonel CAILLAUD- cela facilite l'assimilation du stage et la progression. Nous faisons appel à tous les volontaires titulaires du 2ème degré civil. Et nous croyons que c'est un avantage pour eux de faire des sauts intéressants pendant leur service militaire. Bien sûr nous ne sommes pas une entreprise désintéressée offrant gracieusement des sauts en parachute à haute altitude. Le stage reste difficile et la sélection rigoureuse. Mais c'est une expérience passionnante pour un jeune". 

Ce n'est pas une mince affaire de sauter avec ces paquetages individuels et ces armes. D'abord le poids (15 à 40 kg) limite considérablement les évolutions en chute libre, augmentant la vitesse de descente verticale qui atteint aisément 220 km/h sans guère de possibilité de freinage. La position adoptée est la flèche, l'angle dièdre des bras concourant à la stablilité. La charge sous le ventral tire vers le bas, point de fixation qui élimine les passages sur le dos encore qu'il n'évite ni la spirale, ni la vrille si le parachutiste a mal assuré ses fixations, laissant du ballant à son barda. Cette charge contenue dans une musette classique ou dans une gaine spéciale est constituée par le paquetage individuel et l'armement spécialisé du chuteur : explosifs, fusées, cartouches. Le pistolet mitrailleur est logé sous le parachute ventral. Le fusil incommode se glisse en diagonale sous le harnais, la crosse à hauteur de hanche gauche, le canon dépassant de l'épaule à droite, sans gêner pour autant l'ouverture du parachute principal, le chuteur surchargé étant "stable comme un pavé".

Le parachute est un EFA 656 réputé doux à l'ouverture, voile réséda sur harnais standart type 691, mais le choc reste important.

Cet équipement n'est certes pas l'idéal. Il est nécessaire de mettre au point une gaine mieux adaptée facile à équiper, conçue pour évoluer en chute libre (EFA l'étudie actuellement), un armement spécial : fusil démontable ou pliant par exemple, (comme le M16 US) Encore faudra-t-il à ces chuteurs un harnais de parachute moins étroit, répartissant mieux les efforts occasionnés par la surcharge ; une voilure de type Olympic-formule-confortable, au choc à l'ouverture moins dur, surtout plus effcicace que l'EFA 656 pour récupérer un  axe, évoluer vers le leader du groupe ou choisir un point d'atterrissage précis en zone difficile (rocher ou forêt) une voilure comparable au "Dominator"  anglais de GQ. Tout ceci conçu en fonction des missions propres à ces experts.

"A la fin du stage-m'explique le Lieutenant POIREY- le chuteur opérationnel qualifié retourne dans son unité qui l'utilisera en fonction de ses besoins. Lui faisant réaliser parfois quelques sauts d'entrainement, le perfectionnant dans sa spécialité. Nous voudrions ne pas les perdre de vue tout à fait, les entrainer, les recycler, obtenir une utilisation à plus large échelle de leurs qualifications".

"Egalement nous aimerions que les stages de chuteurs opérationnels regroupent des hommes d'origine moins disparate, ayant moins de différence de formation, d'age aussi parfois. Nous voudrions faire l'experience de stages composés uniquement d'hommes du rang par exemple"

Ce stage ces missions sont possibles par le concours de l'armée de l'Air, la Base Aérienne 119 installée à Wright. Les équipages sont eux aussi opérationnels, assurant des vols en conditions parfois difficiles sans toujours larguer à vue du sol. Les sauts au-dessus de la couche nuageuse sans être coutumiers ne sont pas rares. Sur zone de sauts extérieure, les équipages assurent encore les largages aux instruments. Ici également il reste beaucoup à faire : sauter d'appareils de types différents (monomoteur, bi-moteur léger, hélicoptère) Le stage étant limité à l'utilisation des Nord 2501 qui permettent une bonne cadence de sortie avec les charges actuelles. l'élaboration de missions spéciales en participation commune Terre Air devrait aboutir à une efficacité bien meilleure encore, plus conforme à la réalité opérationnelle. 

L'Ecole des Troupes Aéroportées, autrefois Base Opérationnelle d'intervention sort de l'exil. Elle n'y a pas perdu en qualité. aujourd'hui certains des hommes qu'elle forme sont capables de rivaliser avec les meilleurs de l'Est et de l'Ouest qu'ils soient "Spécial Forces" ou "Bérets Noirs" C'est un fait non négligeable à l'heure de la "Frappe" et de la "Dissuasion".

Certes les chuteurs Opérationnels ont leurs partisans et leurs détracteurs, ils ont aussi contre eux l'inertie des mal infomés qui ne connaissent pas même leur existence donc leur efficacité. Le temps est venu pour le soldat-individu de perfectionner son moyen de transport, sa technique au bénéfice de l'automation, n'est-on pas revenu à ce merveilleux bipède capable de diriger et corriger un vaisseau spatial sur la route de la lune ?

Les démonstrations que j'ai suivi tout près, de visu ou d'objectif m'ont démontré que ceux du stage 9, avec un courage dont je sais le prix d'engagement et de dépassement de soi, ceux-là ont fait un pas vers le progrès, une marche en avant qui consite d'abord à mettre un saut après l'autre, toujours plus haut, plus difficile, plus impossible. Mais il est bien connu "Qu'impossible n'est pas Français".

Jacques DUBOURG journaliste pour le magazine "Les Hommes Volants.